Monsieur le Président de la République,
8 décembre 2023,
Nos organisations vous demandent de vous opposer à une nouvelle restriction du droit au séjour pour raison médicale. Ce droit protège les étrangers gravement malades qui vivent en France et ne peuvent pas accéder aux soins dans leur pays d’origine en leur permettant de solliciter un titre de séjour pour se soigner.
Supprimée par le Sénat, puis rétablie par la commission des lois de l’Assemblée nationale, l’aide médicale de l’Etat (AME) a largement occupé l’espace politique et médiatique. Or les enjeux de santé contenus dans le Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ne se résument pas à ce seul dispositif. Le Sénat a également introduit une restriction de l’admission au séjour pour soins, qui ne figurait pas dans le le texte initial du gouvernement. Passée presque inaperçue, cette mesure a été entérinée par la commission des lois de l’Assemblée nationale avec des amendements à la marge. Si elle est adoptée en séance publique, elle signerait la fin du droit au séjour « étranger malade », aujourd’hui strictement encadré et déjà difficile à faire valoir.
Contrairement à ce qui a pu être soutenu lors des débats, le droit au séjour pour raison médicale n’est pas dévoyé. Il s’agit d’un dispositif clair et maîtrisé, réservé aux personnes étrangères gravement malade qui résident déjà en France, et qui seraient privées du « bénéfice effectif d’un traitement approprié » en cas de retour dans leur pays d’origine. Il concerne en grande majorité des personnes qui ont découvert leur pathologie après leur arrivée en France, et leur permet d’avoir accès aux soins dans des conditions de vie stable, essentielles pour se soigner. Protégeant de l’expulsion vers un pays où il n’est pas possible d’être soigné, il évite ainsi la survenue de graves complications ou handicaps, et la mort prématurée. Stable, il représente seulement 0,6% de l’ensemble des titres de séjour délivrés, permettant aujourd’hui à 30 000 personnes étrangères gravement malades d’avoir un titre de séjour.
En remplaçant la notion « d’effectivité du soin » dans le pays d’origine par celle de « disponibilité de traitement », le projet de loi vide ce droit de sa substance. Une telle modification est loin d’être purement sémantique. La disponibilité d’un traitement dans un pays ne garantit en rien que la personne malade puisse y avoir effectivement accès. Il faut prendre en compte les difficultés d’accès aux soins liés à l’état des structures sanitaires du pays, l’offre quantitative de soins et leur couverture territoriale, le coût des traitements et l’existence ou non de couverture maladie permettant une prise en charge financière, le manque de personnel médical et les ruptures fréquentes de stocks, ou encore à d’éventuelles situations de discriminations. L’ajout de la prise en compte par les autorités administratives de « circonstances exceptionnelles » est au mieux inutile, puisque la loi permet déjà d’évoquer ces motifs. Au pire, elle constitue une atteinte sans précédent au secret médical, obligeant les personnes malades à invoquer leur état de santé auprès du préfet pour solliciter une régularisation.
Alors que vous souhaitez conforter la position de la France comme cheffe de file de la santé mondiale, l’adoption de cette loi conduirait à mettre en danger la vie de milliers de personnes gravement malades. Elle conduirait à deux situations tout aussi dramatiques. Certaines personnes repartiraient ou seraient renvoyées dans leur pays d’origine, malgré le risque de mort à plus ou moins brève échéance. D’autres seraient contraintes de se maintenir sur le territoire en situation de grande précarité, dans une insécurité administrative préjudiciable à un suivi médical approprié. Le non-recours et la prise en charge tardive entraîneraient des complications et des surcoûts hospitaliers. Le recul sur l’AME a marqué la prise de conscience collective de la nécessité de protéger la santé de tous et de préserver notre système de soins. Suivant les mêmes impératifs, il est essentiel de défendre l’admission au séjour pour raison médicale.
Le droit au séjour pour soins n’est pas une variable d’ajustement migratoire : c’est la base d’une politique de santé publique efficace, derrière laquelle se joue la survie de milliers de personnes malades. Nos organisations vous appellent, Monsieur le Président de la République, à préserver ce droit et à rejeter tout recul dans la protection des personnes étrangères malades.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération,
Les signataires :
- Pascal Brice Président de la Fédération des acteurs de la solidarité
- Dr Françoise Barré-Sinoussi Présidente de Sidaction
- Dr Didier Fassin Président du Comede
- Daniel Goldberg Président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux
- Henry Masson Président de la Cimade
- Gérard Raymond Président de France Assos Santé
- Dr Florence Rigal Présidente de Médecins du Monde
- Camille Spire Présidente de AIDES
- Najat Vallaud-Belkacem Présidente de France Terre d’Asile