Interculturalité, médiation, interprétariat et santé

Ce dossier constitue le thème principal de l’édition de la revue La Santé en action N°442, Décembre 2017 – Santé Publique France
Il inclut notamment l’article « Médiation en santé : des origines à de nouvelles perspectives ? » de Pascal Revault, directeur opérationnel du Comede, téléchargeable à la rubrique « Nos publications », « Autres publications« 

Interculturalité, médiation, interprétariat et santé : par l’utilisation résolue de ces trois termes, le propos de l’ensemble de ce dossier central est d’envisager les relations de soins et d’éducation dans un contexte interculturel élargi. De fait, les institutions qui sont en contact avec les usagers, en première ligne, organisent leurs relations interculturelles de façon empirique, que ce soit dans les dimensions d’âge, de genre, de classe sociale. Or, le plus souvent, la dimension interculturelle reste méconnue, notamment dans les principes théoriques qui la caractérisent et les enjeux qui l’accompagnent.

Interculturalité
Ainsi, même si la relation soignant soigné ou éducateur éduqué est par nature d’essence interculturelle, l’étrangeté de l’usager y ajoute un certain désordre. Il est confortable pour l’institution de répondre à ce désordre de façon stéréotypée en élaborant des protocoles normés, en promouvant des attitudes déterminées. Mais ces normes et ces protocoles, de par leur rigidité et leur unilatéralisme, aboutissent souvent à des blocages, des malentendus, voire de francs conflits qui vont parfois mobiliser jusqu’à des formes de résolution autoritaires (telle l’intervention de forces de sécurité). Ces blocages, d’une part, génèrent une insatisfaction et entachent la fonction de soin, d’autre part sont à l’origine de nombreux questionnements et de grandes souffrances de la part des professionnels. Ceux ci exercent en effet leur métier avec toute leur personnalité et leur professionnalisme et peuvent se sentir d’autant plus démunis, voire blessés dans la mesure où leur institution ne leur ouvre que trop rarement des espaces pour en parler.
Les outils de médiation, d’interprétariat comme les réflexions autour de la diversité culturelle ou de l’interculturalité ont pour objectif d’améliorer cette relation entre institution et usagers. Ce thème suscite une multiplicité d’approches, depuis l’analyse anthropologique du rapport à l’Autre à la description des mécanismes institutionnels qui doivent être dépassés, en passant par les pièges de la traduction.
Le dossier tente de refléter la diversité des analyses et des points de vue selon les institutions concernées ; les lecteurs pourront ainsi prendre la mesure de ces contrastes et de cette diversité.

Médiation
Médiation ? Encore faut il s’entendre sur le terme. Si, comme on l’a vu plus haut, l’interculturalité ne se limite pas aux exotismes étrangers, il en est de même pour la médiation. S’interposant entre l’institution et l’individu, la médiation est utile aux personnes âgées, aux personnes en situation de précarité, de fragilité, etc., qui toutes ont en commun de ne pas forcément être « adaptées » aux schémas de fonctionnement de l’institution. Au delà des migrants, construits comme la figure archétypale de l’altérité, c’est avec des parties (dans le sens catégories) de la population que ces pratiques de médiations sont à élaborer et à penser dans l’éducation et la promotion de la santé et dans les soins en France, suivant les âges, les territoires ou les modes de vie. Et ce d’autant plus que sous la pression des rationalisations budgétaires liées aux politiques publiques, les institutions se figent de plus en plus autour de protocoles de bonnes pratiques et d’évaluation quantitative de leurs performances, au détriment du sens de la maladie ou des risques perçus par les publics destinataires.

Interprétariat
L’interprétariat, quant à lui, renvoie à la question du langage : un professionnel de santé qui jargonne face à un patient rend toute compréhension inaccessible. La prédominance d’un support diagnostique technique (IRM, échographie, prise de sang) au préjudice d’une verbalisation rend impossible l’appropriation par l’usager des interventions qui sont faites sur sa santé. Cette absence de verbalisation ne permet pas à l’usager de mobiliser ses compétences. On a coutume de dire que « traduction égale trahison », au sens où les mots n’ont jamais strictement le même sens et où les représentations véhiculées sont éminemment plus riches que ce qu’un dictionnaire peut offrir. Mais, outre cette méfiance, l’interprétariat dans le domaine de la santé a ceci de spécifique qu’il peut aider à se poser des questions fondamentales relativement à la pudeur, aux effets discriminants sur le choix des traitements par exemple, que des rapports inégalitaires instaurent lorsqu’il y a une barrière linguistique. Par ailleurs le recours à l’interprète peut avoir comme effet négatif de créer une dette symbolique entre soignés et interprètes, effet dont des professionnels non avertis n’ont pas assez conscience.
Dans ces domaines délicats, de nombreuses expériences ont vu le jour et se développent avec plus ou moins de bonheur et de succès, dus à un certain bricolage, faute d’être suffisamment organisées collectivement ou soutenues par les institutions. Ce dossier a pour ambition de se faire l’écho du dynamisme et de la force de certaines initiatives qui émanent du quotidien, pour l’améliorer et rendre les soins plus accessibles et de meilleure qualité. Malheureusement, on constate que, trop souvent, l’institution ne se saisit pas véritablement de cet enjeu périlleux et fragile qui ne tient souvent qu’à une personne volontaire ou à un petit nombre de personnes engagées ; un départ ou une absence prolongée font s’effondrer l’initiative.

Tout l’enjeu de ce dossier est donc de donner des outils aux professionnels pour aborder sereinement, mais de façon volontariste cette vision interculturelle qui sous tend l’humanisme, voire l’humanisation des soins et de notre système de santé ; il vise également à mobiliser les institutions pour que cette dimension interculturelle soit pleinement intégrée dans leur projet d’établissement, au titre d’une éthique qu’il s’agit de défendre.

Dossier coordonné par
Stéphane Tessier, médecin de santé publique, chercheur associé des laboratoires centre de recherches, Éducation et Formation Nanterre Ouest, et Éducations et Pratiques de santé, Paris 13 Sorbonne.
Laurence Kotobi, anthropologue, maître de conférences Hdr, UMR 5319 Passages CNRS Univ. de Bordeaux.
Mohamed Boussouar, directeur des programmes,instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (Ireps), Auvergne Rhône Alpes (ARA), Lyon.