L’accès aux soins des personnes migrantes en Guyane : le point de vue des acteurs de la santé et du social
Gabriel Brun-Rambaud1, Leslie Alcouffe1, Marc-Alexandre Tareau1, Nicolas Vignier1,2
1 Centre d’Investigation Clinique Antilles Guyane, Inserm CIC 1424, Centre Hospitalier de Cayenne, Guyane 2 Hôpital Avicenne, Université Sorbonne Paris Nord, IAME UMR 1137, Bobigny
Dans le cadre de l’enquête Parcours d’Haïti (voir Encadré 1), une étude qualitative a récemment été menée en Guyane auprès de professionnels de la santé, du social et d’acteurs associatifs. Celle-ci avait pour objectif d’explorer les barrières et les leviers à l’accès et au recours aux soins des personnes migrantes en Guyane. En 2019, l’Insee observait en effet que un tiers de la population guyanaise avait dû retarder ou renoncer à des soins, notamment pour des raisons financières. Les personnes étrangères étaient les plus concernées. En Guyane, 36% de la population est née à l’étranger selon le recensement, les premières communautés d’origine étant brésilienne, surinamaise et haïtienne. Des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de 25 professionnels entre les mois d’avril et de juin 2022 à l’aide d’un guide d’entretien explorant leurs pratiques et leurs représentations en matière d’accès, de recours aux soins, et d’accompagnement des personnes migrantes dans leur parcours de soins. Les entretiens ont été retranscrits et ont fait l’objet d’une analyse thématique[1].
Encadré 1 : L’enquête Parcours d’Haïti
L’étude Parcours d’Haïti est une étude épidémiologique, biographique et socio-anthropologique menée par les chercheurs du centre d’investigation clinique Antilles Guyane du Centre hospitalier de Cayenne (Inserm CIC 1424) auprès d’un échantillon représentatif de la communauté haïtienne en Guyane sur les déterminants sociaux de la santé. Elle mobilise les méthodes et l’expérience accumulée au cours de l’enquête ANRS Parcours menée en 2012-2013 en Ile-de-France auprès des personnes originaires d’Afrique subsaharienne, tout en l’adaptant aux enjeux et aux réalités guyanaises. Plus de 1500 personnes originaires d’Haïti et vivant en Guyane ont déjà été incluses dans le volet quantitatif et biographique de l’enquête sur l’ensemble du territoire. La fin du recrutement est programmée mi 2023 et sera suivie d’une analyse des données et d’une discussion des résultats avec les partenaires associatifs et institutionnels de l’enquête. Un volet qualitatif est également mené par un anthropologue et apportera un éclairage sur les représentations de la santé, ainsi que sur les recours différenciés aux soins biomédicaux, phytothérapeutiques et magico-religieux au sein de la communauté haïtienne. Trois études qualitatives ancillaires sont également menées dont celle présentée ici sur l’accès aux soins en Guyane, sur la santé mentale des personnes migrantes en Guyane à partir du savoir expérientiel des soignants et des acteurs associatifs, et sur les enjeux méthodologiques de l’intégration de médiateurs en santé dans une recherche en santé. L’enquête Parcours d’Haïti bénéficie du soutien financier du Centre hospitalier de Cayenne, de l’ANRS|MIE, de l’Institut convergences et migration, de Sidaction, de l’association Sankana et de l’ARS Guyane et du soutien institutionnel de nombreux partenaires locaux. Contact : dr.vignier@gmail.com |
Cette étude dresse un constat alarmant de la précarité et de la vulnérabilité des personnes migrantes en Guyane, ainsi que de l’état préoccupant de leur santé mentale. Les difficultés quotidiennes rencontrées par les exilés dans un contexte post-COVID-19 ayant impacté le secteur informel, peuvent avoir des effets délétères sur leur santé et particulièrement sur leur santé mentale. Les troubles psychologiques, les traumatismes, l’anxiété, la charge mentale, les troubles de l’humeur, l’isolement social, les discriminations, l’insécurité alimentaire et la précarité administrative sont autant de situations rapportées par les professionnels pouvant affecter les exilés dans leur parcours de migration, de vie, de prévention et de soins.
« [Il] y a énormément de problèmes de santé mentale, avec des gros psycho-traumas, liés aux violences qui peuvent avoir été vécues dans le pays d’origine et/ou sur le chemin de l’exil et/ou ici (en Guyane). […] on a pas mal de personnes qui sont relativement jeunes et en bonne santé somatique…, du moins quand [elles] arrivent, et puis qui, à cause des conditions, commencent à développer des problèmes de santé mentale ou somatiques. »
La santé : une porte d’entrée vers un soutien social et psychologique
Les situations de grande précarité peuvent conduire les exilés à mettre leur santé au second plan et à retarder leur recours aux soins malgré l’existence de structures de soins gratuites en Guyane. Cependant, les exilés ayant recours aux soins identifient les acteurs de la santé comme des interlocuteurs privilégiés pouvant aussi les orienter ou répondre à leurs problématiques sociales, notamment en matière d’insécurité alimentaire, d’habitat et d’accès aux droits. La santé offre également la possibilité d’un soutien psychologique et d’une orientation. En effet, les exilés peuvent être affectés par des troubles psychologiques. Cependant, les exilés sont peu nombreux à bénéficier d’un accompagnement psychologique en raison d’un manque d’information, des ressources très limitées en santé mentale, ainsi que des représentations négatives des prises en soins psychologiques. Les conséquences que peuvent avoir les difficultés rencontrées par les exilés sur leur santé mentale sont pourtant préoccupantes. Il est nécessaire de renforcer et développer le dépistage de la souffrance psychique, l’offre en santé mentale et la prise en soins des exilés souffrant de troubles psychologiques en Guyane.
« On a beaucoup de personnes qui viennent et en fait qui finissent par partir avec un rendez-vous avec notre psychologue. »
« On est tout le temps en train de baragouiner » : comprendre et se comprendre
Avec la découverte du système de santé français, les exilés doivent comprendre, apprendre et intérioriser un nouveau fonctionnement ainsi que de nouvelles procédures. Cette nouveauté et ces complexités conduit certains exilés à se tourner vers le milieu associatif pour demander un soutien face à la lourdeur administrative des parcours de soins. En effet, le niveau de littératie en santé peut être très variable d’un individu à un autre. Être pleinement acteur et décisionnaire de l’orientation que l’on souhaite donner à son parcours de soins nécessite un bon niveau de compréhension du système de santé et une capacité d’agir. Ces éléments sont parfois complexes à rassembler lorsque l’on est en situation d’exil, a fortiori dans un contexte multi-linguistique. En effet, la barrière de la langue rend les échanges difficiles et freine la compréhension des étapes du parcours de santé ou administratif. Cependant, certaines structures proposent l’aide d’un interprète ou d’un médiateur-interprète. Afin de surmonter cette barrière, il est nécessaire d’augmenter les moyens en faveur de l’interprétariat et de la médiation en santé en Guyane.
« Dès qu’il y a quelque chose à annoncer, l’annonce d’une mauvaise nouvelle, d’une malformation, c’est très compliqué. Et on a l’impression de le faire de manière assez maltraitante […]. »
« C’est tout un parcours alambiqué » : la complexité des procédures sanitaires et administratives
En Guyane, le parcours administratif vers l’accès aux droits et aux soins relève parfois du « parcours du combattant », du fait de la complexité des démarches. La procédure d’ouverture des droits des exilés nécessite l’élaboration d’un dossier avec plusieurs justificatifs dont certains sont qualifiés d’abusifs par les acteurs sanitaires, sociaux et associatifs (acte de naissance, certificat d’hébergement, etc.). À cela s’ajoute les longs délais d’attente avant l’éventuelle obtention d’une couverture maladie. Le rapport guyanais 2021 de la Défenseure des droits a fait ressortir les insuffisances des services publics sur le territoire, avec des réclamations concernant le droit des étrangers (12 % des saisines) ainsi que la protection sociale (7 % des saisines). Malgré une récente amélioration des délais de traitement des dossiers par l’Assurance maladie, les exilés restent nombreux à ne pas bénéficier d’une couverture maladie. Face à la complexité des démarches, le non-recours demeure une perte de chance d’obtenir une couverture maladie et donc d’accéder à la prévention et aux soins.
« Ils ont déposé deux, trois fois, ils n’ont pas de retour, ils restent comme ça. […] il [ne] manquait pas grand-chose [à] la Sécurité sociale, [pour que] le dossier soit complet, c’est juste une explication sur comment remplir ça, qu’ils [n’] avaient pas, donc ils souffrent, ils souffrent. »
« Toi t’as pas le droit d’être là » : discriminations et marginalisations
En Guyane, le non-accueil, les discriminations et les stigmatisations des exilés sont des atteintes fréquemment rapportées envers les droits humains. Ces attitudes vont à l’encontre de l’inclusion des exilés dans un processus de prévention et de soins. Les associations sont souvent témoins ou porte-parole de situations de discrimination dont sont victimes les exilés, dans leur vie quotidienne mais également au sein des structures sanitaires et sociales. La communauté haïtienne est particulièrement touchée par ces discriminations ainsi que la communauté LGBTQIA+. Les accompagnants et les médiateurs d’origine étrangère peuvent également avoir vécu eux-mêmes ces discriminations. Des témoignages rapportent la façon dont les personnes migrantes peuvent être catégorisées, mises « hors du monde » et dont il leur est parfois refusé l’accès aux droits et aux soins. Cette mise à la marge de la société a des répercussions sur leur santé mentale et dans leur manière d’appréhender leur parcours de soins ainsi que leur parcours d’intégration. La lutte contre le non-accueil, les discriminations, les stigmatisations et la maltraitance institutionnelle devrait être une priorité en Guyane, pourtant délaissée par les autorités.
« Et donc la dame elle a accouché (à l’hôpital) et là [il] y a une personne (de l’équipe) qui était là « [..] tu vois […] c’est de la faute du gouvernement, ça va faire un Français de plus. »
L’accompagnement associatif : clef de voûte du parcours de soins des exilés
En Guyane, les acteurs associatifs sont nombreux à s’engager en faveur d’une facilitation du parcours sanitaire et social des exilés. Ils les soignent, les vaccinent, les écoutent, les accompagnent au sein du système de santé et leur apportent également un soutien dans l’élaboration de leurs dossiers administratifs et sociaux pour faire valoir leurs droits. Sans les associations, beaucoup d’exilés ne bénéficieraient pas d’une offre de prévention et de soins adaptée à leurs besoins. Cependant, cette délégation du droit commun au secteur associatif ne doit pas constituer une solution systématique de prise en soins des personnes migrantes. En effet, certaines problématiques de santé nécessitent d’être suivies dans des structures de santé compétentes, équipées et investies de leur mission de santé publique. L’accompagnement associatif est porté en son cœur par le travail des médiateurs en santé. La médiation en santé permet de faire le lien entre les acteurs de la santé et les exilés, de mettre en confiance et de renforcer la compréhension du système de santé. En outre, les médiateurs en santé partagent souvent la même langue que les exilés et disposent d’une fine compréhension des enjeux sociaux, culturels et traditionnels des différentes communautés. Face au besoin de médiation en Guyane, il paraît important de soutenir les formations existantes, les initiatives d’accompagnement et leur passage à l’échelle, afin de garantir un accès facilité à la santé pour tous les exilés.
L’équipe Parcours d’Haïti remercie l’ensemble des professionnels ayant participé et partagé leur expérience dans le cadre de ce travail.
[1] Cet article est une synthèse du mémoire de Master 2 « Santé internationale » de Gabriel Brun-Rambaud qui peut être consulté ici