Brève d’exil : « Je connais toutes les régions et toutes les langues de mon pays. »
Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.
Quand le vieillissement s’ajoute à l’exil, à la grande précarité et à l’inaccessibilité aux droits…
Bicêtre, le 26 mars 2019
Depuis quelques semaines, c’est difficile… très difficile. Les mauvaises nouvelles s’enchaînent, sa situation se précarise à grande vitesse. À la rentrée, il aura 70 ans. Il s’imaginait vieillir en famille, dans sa maison à Kinshasa. Mais une nuit de 2012, tout à basculé. Sa fille est alors recherchée pour avoir été « témoin » dans un bureau de vote lors des élections présidentielles de 2011. Le Président sortant est réélu. Les résultats sont contestés. Sa fille devient gênante. Des militaires entrent violemment chez lui et s’en prennent à sa femme. Monsieur la défend. Ils lui coupent un pouce et lui fracturent les deux jambes.
« Mais ce n’est pas ça qui nous a fait partir, c’est une autre raison, en 2013. »
Il raconte cet événement politique de 2013 : sa participation militante, sa mise au cachot, la réussite de son évasion « parce qu’avec mon métier je connais toutes les régions et je parle toutes les langues de mon pays, j’avais un sacré avantage », la traversée du fleuve Congo sur une pirogue en pleine nuit. Il se souvient de ses neuf mois passés à Brazzaville. Il parle des congolais de Kinshasa, poursuivis, massacrés, jetés dans le fleuve par des congolais de Brazzaville. Il parle de cet homme riche qu’il avait rencontré à son travail et qui les a aidés à venir en France. Il nous explique que sa femme n’a pas eu le choix, qu’elle a été obligée de quitter son pays, sa maison, ses enfants « parce qu’au Congo, quand une personne est recherchée… c’est toute sa famille qui est en danger. »
En France, leur demande d’asile a été rejetée en 2016.
Le Comede soutient Monsieur pour une demande de titre de séjour pour raison médicale. Son dossier est complet depuis longtemps, mais il n’arrive pas à obtenir un rendez-vous à la préfecture pour le déposer. La procédure peut paraître « simplifiée » : il suffit de se rendre sur le site internet de la préfecture, de sélectionner « titre de séjour pour raison médicale » et de choisir une plage de rendez-vous. Facile. Le hic, c’est que cela fait plusieurs mois qu’il tente… enfin, pas lui directement, lui ne sait pas se servir d’Internet. Alors il se fait aider par des bénévoles du Secours Catholique, par le Comede, mais c’est IMPOSSIBLE.
Au bout de plusieurs mois de tentatives, on s’impatiente. Alors on envoie un courrier en recommandé au Préfet. Et la réponse est toujours la même « la procédure se fait sur le site Internet de la préfecture ». Et le dossier de Monsieur nous est retourné. Ce blocage administratif a d’énormes répercussions sur sa situation de plus en plus précaire :
- il a l’Aide Médicale de l’Etat (AME) alors qu’il aurait droit à l’assurance maladie et à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Il ne peut donc pas bénéficier de la réduction transport de 75% sur l’abonnement mensuel pour les personnes prise en charge par la CMU-c ;
- il n’a pas accès à un logement social ;
- il n’a pas accès aux aides de sa commune prévues pour les personnes âgées car il est en situation irrégulière ;
- il n’a pas d’autres possibilités que de faire le 115 pour trouver un hébergement d’urgence. Mais son département est complètement saturé, nous n’arrivons même pas à les joindre, la ligne est constamment occupée.
Aujourd’hui, Monsieur n’a plus de solution. Depuis quelques semaines, il arrivait à entrer discrètement dans la chambre d’un ami en maison de retraite. Mais hier, cet ami a été hospitalisé. Sa femme, quant à elle, est hébergée juste les nuits, mais pour peu de temps. Elle est « priée de vite trouver une autre solution ».
Aujourd’hui, Monsieur est très fatigué.