Brève d’Exil : Parcours d’apatridie
Décembre 2024
Charles [1]est né au Suriname d’une mère Guyanienne et d’un père inconnu. Il n’est reconnu ni par le Guyana, ni par le Suriname comme l’un de leurs ressortissants.
Très jeune, il est venu avec sa mère en Guyane française où ils ont vécu avec un beau-père violent. Charles a grandi au sein d’une famille dysfonctionnelle, chaotique, et avec toutes les formes possibles de violence, impactant défavorablement son développement.
Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.
Toute sa scolarité s’est déroulée en Guyane française. Il se décrit comme un mauvais élève. Il a arrêté l’école avant le bac et a fait une formation de frigoriste-technicien clim.
A 18 ans, il a quitté le domicile familial et a commencé à vivre en rue, où il a découvert, selon ses mots, « une autre forme de violence ». Il y a aussi découvert le crack et celui-ci est devenu le centre de sa vie.
Afin de pouvoir financer sa consommation, il est tombé dans la délinquance. Cela lui a valu plusieurs incarcérations, sept au total. Charles reconnaît qu’à certains moments, il n’a pas eu envie de s’en sortir.
Pendant ses incarcérations, Charles a passé son brevet. En prison, il a eu du temps pour faire un travail sur lui et entamer un suivi psychologique. Il décrit la prison comme un lieu où il est à l’abri, il se sent parfois mieux dedans que dehors. En détention, Charles s’est sevré du crack et a bénéficié du soutien de l’équipe soignante présente.
Il a été orienté vers le Comede Guyane par son Conseiller pénitentiaire d’Insertion et de Probation (CPIP) afin d’assurer un relais de la consultation psychologique et pour la problématique de potentielle apatridie. Assez rapidement, la problématique sociale a émergé et un suivi pluridisciplinaire médico-psychosocial a commencé, du fait de l’urgence de sa situation. Quand il a commencé à venir nous voir, Charles était en régime de semi-liberté pour une semaine encore, libre de ses mouvements en journée et devant retourner dormir à la prison. Manifestement, peu de chose avait été anticipées pour préparer sa sortie.
Sa crainte principale en arrivant au Comede était de retourner en rue et, donc, de replonger dans la consommation. Nous avons tenté de l’orienter dans un premier temps vers une communauté thérapeutique pour personnes sevrées, négociant une continuité du suivi social et juridique, en échange de l’hébergement. Malheureusement après cinq nuitées hôtelières payées par le Comede, aucune réponse. Charles est retourné en rue. Inévitablement, il est retombé dans la consommation et la mendicité, comme il l’appréhendait.
Son retour à la rue s’est accompagné d’une dégradation clinique évidente, tant sur le plan de la santé mentale que sur le plan somatique. Son regard n’était plus le même, sa démarche non plus. Charles a commencé à avoir un discours paranoïaque, se pensant filmé, et son suivi est devenu erratique.
L’équipe était mobilisée pour maintenir le lien coute-que-coute avec Charles et tenter de le faire entrer dans une structure de type Housing First.
Malheureusement, malgré nos relances Charles n’a pas eu accès à cet hébergement. Il a finalement été arrêté par la PAF [2]et ramené au Suriname malgré son absence de nationalité reconnue par le gouvernement surinamais. Charles ne connait pas le Surinam, il a quitté ce pays quand il avait à peine quelques mois.
Nous n’avons plus eu de nouvelles de Charles depuis juillet 2024, il y a cinq mois déjà.
[1] Le prénom a été modifié.
[2] Police aux frontières