Brève d’Exil : Il fait vraiment trop froid.
Janvier 2024
Mardi 9 janvier 2024, on trouve encore de la neige sur les voitures ce matin. C’est plutôt chouette la ville enneigée, ça donne presque une sensation d’apaisement.
Mais quand on est mineur non accompagné, qu’on est à Paris depuis 3 mois, qu’on a fui son pays, traversé la Méditerranée et perdu son oncle dans le naufrage ce n’est vraiment pas excitant la neige.
Bakary* a 14 ans, c’est écrit sur son acte de naissance et il le dit avec ses mots dans un français approximatif. Pourquoi en douter ?
Si on a vraiment un doute il suffit de le rencontrer pour réaliser qu’il est finalement assez proche des autres adolescents que l’on côtoie dans nos vies. Il a des envies d’ado, des comportements d’ado, il est content quand on lui propose une recharge internet pour son téléphone et il appelle pour dire qu’il a bien été là où on lui dit d’aller.
Ce qui différencie peut-être Bakary, c’est que lui c’est un ado qui ne veut pas louper une seule heure des cours proposés par les associations. Il rêve d’aller à l’école, la vraie, celle de tou-tes les autres, mais pour le moment il n’y a pas accès.
La vie de Bakary est différente, ses chances sont différentes, mais c’est un ado.
Seulement, pour lui, comme pour de très (trop) nombreux autres, les autorités ont décidé que son acte de naissance était un faux et qu’il n’avait pas 14 ans.
Bakary a contesté cette décision. Il a même une avocate pour l’accompagner dans cette démarche.
Cela fait un mois qu’il attend la date d’audience, un premier mois. On sait que les délais sont longs, que les juges sont submergés par ces recours.
En attendant, comme de nombreux autres mineurs, il est dehors car aucune solution d’hébergement n’est prévue.
Le 115 ce n’est que pour les adultes, ou pour les mineur.e.s en famille. Ce n’est pas son cas.
L’aide sociale à l’enfance (ASE) ce n’est que pour les enfants reconnus mineurs. Ce n’est pas pour lui.
« En attendant » c’est le milieu associatif et la solidarité citoyenne qui accompagne ces jeunes isolé-es, qui les nourrit, qui parfois arrive à les mettre à l’abri, qui les habille, qui leur paie leur recharge de téléphone, qui leur donne des cours, qui met en place un semblant d’école, qui organise des tournois de foot, ou des cours de théâtre.
« En attendant » certaines bibliothèques municipales proposent un accueil, des activités presque scolaires.
« En attendant » ces jeunes nous préoccupent toutes et tous dans nos activités au centre de santé du Comede. Ce sont des patient.e.s prioritaires, qui nous mobilisent en pluridisciplinaire et qui nous font agir en partenariat avec d’autres.
Ce matin Bakari a dormi sur la table d’examen d’un box médical du centre de santé. Trois heures après il grelottait encore et il retenait ses larmes.
Cette nuit les températures vont descendre en dessous de zéro degré. Bakari ne dormira pas dehors, le Comede a payé deux nuits d’hôtel.
Une fois au chaud dans la chambre, Bakari me dit « demain j’ai les cours à la Halte à 10h et après à Laumière à 15h ». Voilà sa principale préoccupation à ce moment-là.
« Cette semaine, l’Etat ouvrira progressivement 274 places supplémentaires pour la mise à l’abri des personnes à la rue », indique un communiqué de la préfecture d’Ile-de-France.
Les mineur.e.s non accompagnés ne sont pas prioritaires, ce n’est pas l’Etat qui s’en occupe.