Alerte sur le traitement des personnes migrantes
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La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’alarme de la multiplication des violations des droits fondamentaux des personnes migrantes observées sur le terrain et de certaines orientations des politiques migratoires envisagées par le nouveau Gouvernement, l’obligeant à cette déclaration.
Au cours de l’été, le Président de la République s’est exprimé à plusieurs reprises sur les questions migratoires, reconnaissant qu’il s’agissait d’un défi immense et qu’il fallait engager « une refondation complète » de la politique d’asile et d’immigration. Il a également rappelé sa volonté « d’accueillir mieux et d’héberger tous ceux qui sont obligés d’occuper la rue et de s’installer dans l’espace public1 ». Malheureusement, la situation sur le terrain est en contradiction avec ces discours bienveillants. La CNCDH déplore que les actions de l’Etat ne garantissent pas le respect des droits des personnes migrantes et de celles et ceux qui leur viennent en aide.
En premier lieu, alors que le chef de l’Etat prônait une mise à l’abri d’urgence des migrants vivant dans la rue, cela s’est traduit en pratique par des évacuations précipitées, sans solution d’hébergement pérenne, dans des lieux souvent inadaptés et sans accompagnement véritable. De plus, la logique de tri entre différentes catégories de personnes migrantes appliquée dans certains centres empêche un accueil inconditionnel et conduit à la fuite de certains, notamment les « dublinés2 », par peur d’être renvoyés à l’étranger. Elle est l’une des causes des situations de précarité et de vulnérabilité persistantes que déplorent les associations qui viennent en aide à ces personnes en errance et en danger.
En deuxième lieu, l’Etat a fait preuve, à plusieurs reprises, d’une réticence à appliquer la loi et à se conformer aux décisions de justice exécutoires qui ont été rendues à son encontre. Ainsi, le 26 juin 2017, le tribunal administratif de Lille a enjoint le préfet du Pas-de-Calais et la commune de Calais de créer plusieurs points d’eau pour les migrants. Le préfet et la commune ont fait appel de l’ordonnance et attendu la décision du Conseil d’Etat du 31 juillet 2017, qui a confirmé cette injonction, pour s’exécuter et, de plus, a minima. L’Etat a également été condamné plusieurs fois pour violation du droit d’asile à la frontière franco-italienne, à la suite de l’interpellation en France de migrants et à leur refoulement en Italie sans leur permettre de déposer une demande d’asile. A cet égard, la CNCDH s’étonne de devoir rappeler à l’Etat qu’il doit exécuter les décisions de justice. Seule cette exécution garantit le respect des libertés fondamentales dans un Etat de droit, comme l’a rappelé à plusieurs reprises la Cour européenne des droits de l’homme3.
En troisième lieu, les instructions données par le ministère de l’Intérieur se sont traduites sur le terrain par des formes de harcèlement de la part des forces de l’ordre à l’encontre des personnes migrantes. Ces violences – destruction systématique des abris, projection de gaz sur les migrants adultes et enfants, sur leur nourriture et leurs vêtements…. – ont été dénoncées et documentées à maintes reprises par les associations notamment à Paris, à Calais et dans la vallée de la Roya. Ces actions, parfois violentes- entrave à la distribution des repas et des consultations médicales, intimidations et menaces de poursuites judiciaires, contrôles d’identité intempestifs… – se sont étendues aux associations et à de simples citoyens dans le but d’empêcher leurs actions humanitaires alors même qu’elles visent à pallier les carences de l’Etat.
En quatrième lieu, les poursuites et condamnations à l’encontre de personnes venant en aide aux migrants se multiplient. Les nombreux placements en garde-à-vue et rappels à la loi, les appels du Parquet des décisions de relaxe, révèlent une volonté politique de pénalisation de la solidarité. Dans ce contexte, la CNCDH rappelle que l’engagement de celles et ceux qui apportent aide et soutien aux personnes migrantes est légitime et recommande à nouveau que « que les pouvoirs publics concentrent leurs moyens et leurs actions au renforcement de leur capacité d’accueil et d’accompagnement des personnes migrantes, afin de garantir l’effectivité de leurs droits fondamentaux, au lieu de concentrer leurs actions sur ceux qui leur viennent en aide »4.
En cinquième lieu, la situation des mineurs isolés étrangers s’est encore aggravée. En effet, les difficultés pour faire reconnaitre leur minorité sont récurrentes5. De plus certains départements refusent de les prendre en charge, malgré une décision du Conseil d’Etat rappelant aux départements qu’ « il appartient aux autorités de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale » et « qu’une obligation particulière pèse en ce domaine sur les autorités du département en faveur de tout mineur dont la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger »6. Et même quand ces mineurs sont hébergés, leur accompagnement est souvent inadapté à leur situation. Les dispositifs sont saturés et les mineurs, fréquemment livrés à eux-mêmes, se voient exposés à toutes sortes de dangers et de risques pour leur intégrité.
Assurément, ces atteintes portées aux droits fondamentaux constatées sur le terrain et l’absence de réponses efficientes des pouvoirs publics conduisent à une détérioration de la confiance démocratique et contribuent à nourrir un sentiment de xénophobie. Consciente de l’importance des enjeux, la CNCDH exhorte le Gouvernement à placer le respect des droits fondamentaux au cœur de sa politique migratoire. Elle lui demande également d’abandonner une vision réductrice des phénomènes migratoires consistant à opposer les demandeurs d’asile aux autres migrants. L’Etat se doit non seulement de protéger le droit d’asile mais aussi de garantir et faire respecter les autres droits des personnes migrantes et ce quel que soit leur statut : satisfaction des besoins essentiels, droit au respect de la vie privée et familiale, prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, accès aux soins médicaux, accès au droit et à la justice, etc.
La CNCDH appelle les pouvoirs publics à prendre dans l’immédiat toutes les mesures nécessaires à la protection effective des mineurs isolés étrangers, à mettre en place une politique d’accueil pérenne des personnes migrantes, à respecter les décisions de justice et à ne plus émettre d’instructions favorisant le harcèlement de la part des forces de l’ordre.
Enfin la CNCDH a pris connaissance par voie de presse de certaines dispositions du projet de loi intitulé « pour un droit d’asile garanti et une immigration maîtrisée »7 notamment le doublement de la durée de rétention, de la possibilité de refuser un demandeur d’asile pouvant être réadmis dans un « pays tiers sûr » et du placement en rétention des « dublinés »8 dès que la demande de transfert au pays d’entrée a été faite). Celles-ci marqueraient un recul sans précédent des droits fondamentaux des personnes migrantes. C’est pourquoi en vue du débat sur le projet de loi asile et immigration, la CNCDH rappelle l’urgente nécessité de construire une autre politique migratoire avec une dimension internationale et européenne en commençant par la révision des accords de Dublin9. Cette refonte politique suppose une véritable concertation avec l’ensemble des acteurs (Etat, société civile, chercheurs, syndicats, etc.)
En tant qu’institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme, la CNCDH, qui pourrait s’autosaisir, a préféré solliciter une saisine pour avis sur ce projet de loi afin d’assurer sa mission de contrôle et de conseil visant à la mise en place d’une politique respectueuse des droits fondamentaux des personnes migrantes.
La déclaration « Alerte sur le traitement des personnes migrantes » a été adoptée lors de l’Assemblée plénière du 17 octobre 2017 : 25 voix pour – 3 voix contre – 3 abstentions.
1 Discours du Président de la République aux préfets du 5 septembre 2017, lien au 17/10/2017 : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-aux-prefets-du-5- septembre-201/
2 La procédure dite Dublin prévoit un renvoi des demandeurs d’asile vers le premier Etat dans lequel ils se sont enregistrés.
3 Depuis l’arrêt CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce (req. n°18357/91), la Cour reconnaît, sur le fondement de l’article 6§1 de la Convention, l’existence d’un droit à l’exécution des décisions de justice dans un délai raisonnable. V. notamment CEDH, 11 janvier 2001, Lunari c. Italie (req. n°21463/93), §42 pour l’expression « droit à l’exécution ».
4 CNCDH, avis Mettre fin au délit de solidarité, adopté le 18 mai 2017, JORF n°0131 du 4 juin 2017, texte n° 82.
5 CNCDH avis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national ; adopté le 26 juin 2014, JORF n° 0156 du 8 juillet 2014 texte n° 92, CNCDH, Déclaration sur le démantèlement du bidonville de Calais et ses suites : le cas des mineurs, adoptée le 8 novembre 2016, CNCDH, Déclaration sur la situation des mineurs isolés placés en CAOMI, à l’issue du démantèlement du bidonville de Calais, adoptée le 26 janvier 2017.
6 CE 25 août 2017 n° 413549, inédit au Recueil Lebon.
7 Le Monde.fr, lien au 17/10/2017 : http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/09/28/ une-loi-envisage-d-allonger-la-retention-des-etrangers-a-90-jours_5192575_1654200.html
8 La procédure dite Dublin prévoit un renvoi des demandeurs d’asile vers le premier Etat dans lequel ils se sont enregistrés.
9 CNCDH, Avis sur la situation des migrants à Grande-Synthe, adopté le 26 mai 2016, JORF n°0131 du 7 juin 2016, texte n° 46, CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, adopté le 20 novembre 2014, JORF n°0005 du 7 janvier 2015, texte n° 57.