« Que Madame fasse jouer ses réseaux »

A la rue avec son nouveau-né, Madame M tente depuis près d’un semestre de faire enregistrer sa demande d’asile et d’obtenir un hébergement.

Bicêtre - novembre 2017. Elle porte un précieux petit paquet dans les bras, mais n’a nulle part où le poser. Il l’encombre un peu. Elle le protège beaucoup. Madame M, 20 ans, vient d’accoucher. Elle revient paniquée au Centre de santé du Comede. Elle est à la rue et son bébé ne veut pas prendre le sein. Il est midi et il n’a pas mangé depuis plus de dix heures.

Madame M a quitté la maternité la veille. L’adresse de l’hôtel et quelques couches dans son sac, son nouveau-né dans les bras, elle s’engage dans la cohue des transports franciliens pour un long trajet. L’hôtel est loin, elle y arrive tard et personne ne l’attend. Elle a passé sa première nuit de maman dehors alors que son fils a tout juste une semaine. Nous apprendrons le lendemain que l’hôtelier s’était « trompé ». Il s’en excuse. Madame M n’a même pas été autorisée à rester à l’abri dans le hall de cet hôtel précaire.

La jeune maman se trouve en France depuis septembre 2017. Elle tente de déposer sa demande d’asile depuis octobre. Renvoyée de rendez-vous en rendez-vous, d’un département à l’autre, elle est maintenue dans un « entre deux » : entre le début de la procédure et l’enregistrement « officiel » dans le dispositif. Elle sort de chaque rendez-vous avec une nouvelle convocation mais la procédure n’avance pas.

Six mois passent. Madame M ne peut toujours pas bénéficier des conditions matérielles d’accueil pourtant prévues par la loi. Ses empreintes devaient être relevées le 25 janvier. Elle a été priée de revenir le 9 mars. Arrivée en retard à ce nouveau rendez-vous, l’agent du guichet n’a pas voulu enregistrer sa demande et l’a reconvoquée au 19 avril.

A la rue, Madame M passe ses nuits dans les services d’urgences des hôpitaux, parcourt des kilomètres pour aller chercher du lait premier âge et des couches. Ses repas se limitent à des morceaux de pain. Elle est totalement isolée. Une église évangélique francilienne lui a tenu lieu de refuge mais ses accueillants ont déménagé à Rouen. Les services sociaux départementaux, quant à eux, ne se sentent pas concernés par sa situation. « Elle n’a pas d’adresse dans notre département, ce n’est pas notre situation. Un nouveau né à la rue ? Faites un signalement et demandez le placement de l’enfant, je ne vois que ça. Vous ne voulez pas le faire ? C’est votre responsabilité pas la nôtre », s’entend-on répondre au Comede.

Les contacts répétés auprès du 115 ne valent pas mieux : « Madame n’est pas la seule dans cette situation, nous avons 1 200 personnes à la rue, elle doit nous appeler tous les jours le matin, et nous rappeler à partir de 20 h. Pour aujourd’hui nous n’avons pas de place. Elle doit faire jouer ses réseaux financiers et familiaux. »

Une avocate a déposé un référé liberté pour deux raisons : d’une part, Madame M est à la rue, sans revenu, avec un bébé de quatre mois ; d’autre part, il y a atteinte manifestement illégale au droit d’asile. A l’audience, à laquelle la jeune maman et son fils étaient présents, le juge a ordonné au préfet « d'orienter Madame et son fils vers un dispositif d'hébergement d'urgence susceptible de les accueillir provisoirement, dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de la présente ordonnance ». Quatre jours plus tard, Madame M dort toujours aux urgences avec son nouveau-né.