Brève d’Exil : A la rue pour les soins post-opératoires

Janvier 2025

Khaled est Sahraoui. Il nous dit être issu d’une famille de militant·e·s de la cause sahraouie, persécutée à ce titre par les autorités marocaines. Khaled est insuffisant rénal terminal, dialysé. Au Sahara occidental, il avait accès à la dialyse mais en tant que militant de la cause sahraouie, il était, dit-il, discriminé au sein de l’hôpital public et obligé de se soigner dans le privé. Il pense qu’étant donné son engagement politique, il ne pourra jamais avoir accès à la greffe au Maroc.

Khaled n’a même pas 30 ans. Il a émigré en Guyane française, par avion, en passant par le Qatar et le Brésil. En Guyane après une demande d’asile rejetée successivement par l’Ofpra, puis par la CNDA, il est aujourd’hui débouté de l’asile en France.

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.

Dès son arrivée en Guyane, Khaled a été pris en charge dans le service de néphrologie où il bénéficie d’une séance de dialyse trois fois par semaine. Un ami l’a orienté vers le Comede Guyane afin d’évaluer une demande de titre de séjour pour soins. Le médecin du Comede a rendu un avis favorable et un accompagnement social a alors commencé.

Rapidement après avoir été débouté par la CNDA[1], Khaled a perdu son logement pour demandeur d’asile mis à disposition par l’Ofii par l’intermédiaire, localement, de la Croix-Rouge française. Il s’est retrouvé en rue. Depuis ce jour, au Comede, nous appelons le 115 plusieurs fois par semaine, sans succès. De toutes façons, nous n’avons, par ailleurs, jamais réussi à faire héberger l’un ou l’une de nos patient·e·s par le 115 en Guyane.

Dans la rue, Khaled a été victime d’une agression. Son vélo lui a été volé et il a reçu plusieurs coups de poings et de pieds. Il s’est présenté aux urgences hospitalières pour une douleur aux coudes. Une radio a été réalisée sans montrer de fracture. Khaled est alors sorti des urgences avec un traitement antalgique et la recommandation de faire un scanner si la douleur ne s’amendait pas au bout de deux semaines.

Deux semaines plus tard, il s’est rendu au Comede car il n’était pas bien, il avait toujours aussi mal. La médecin a demandé un scanner des coudes et la sentence est tombée : désinsertion bilatérale du muscle triceps brachial. Khaled a donc été orienté vers le service de chirurgie non programmée, hospitalisé et opéré dans la foulée.

A l’hôpital, deux jours après son opération, l’équipe soignante a estimé que la prise en charge chirurgicale était terminée. Khaled pouvait rentrer chez lui. Il est donc retourné en rue, sans avoir vu d’assistante sociale, avec les deux bras plâtrés et les coudes immobilisés. Il était seul, ne pouvait pas manger, pas boire, pas aller aux toilettes et pas se laver.

A l’hôpital, un médecin du service était arabophone : une mauvaise compréhension de la situation de Khaled ne pouvait pas être invoquée.

Après un jour en rue dans ces conditions, Khaled est revenu au Comede, en sale état physique et psychique. Après de multiples échanges avec le service hospitalier, incluant le médecin chef de service et la cadre de santé, nous avons réussi à faire en sorte que le service de chirurgie non programmée le reprenne le vendredi après-midi. Le répit n’a malheureusement été que de courte durée pour Khaled. Le service l’a renvoyé dès le mardi suivant, toujours sans qu’il n’ait vu d’assistante sociale, et le médecin remettant en cause son accord préalable.

L’équipe du Comede a essayé de faire admettre Khaled aux Lits Halte Soins Santé (LHSS) du Samu social, qui n’avaient malheureusement plus de places chez les hommes. Nous avons aussi essayé de le faire admettre dans un service de Soins de Suite et de Réadaptation (SSR), dans le public comme dans le privé, sans plus de succès.

Dans le cadre du suivi post opératoire, nous avons fait appel à la direction de l’hôpital et le service en charge des relations avec les usagers. Si l’hôpital reconnait qu’il aurait fallu une orientation vers une assistante sociale en amont afin d’éviter une rupture de droit et de travailler la question de l’hébergement, le non accès aux soins de suite et réadaptation n’est pas remise en cause malgré les dialyses trois fois par semaine et le besoin de changer les pansements de monsieur en rue, des soins infirmiers avait été prescrits « à domicile ».

Khaled est retourné vivre en rue, malgré ses deux bras plâtrés, le temps de multiples aller-retour entre le Comede et les ACT[2]. Khaled bénéficie aujourd’hui d’un appartement de coordination thérapeutique. Il souhaite continuer les démarches auprès de l’hôpital et du service des usager·es pour faire reconnaitre que sa prise en charge a été insuffisante.


Le prénom a été changé

[1] Cour nationale du droit d’asile

[2] Appartement de coordination thérapeutique