Brève d’Exil : Ça vous ferait plaisir un rouge à lèvres ?

Ce n’est pas toujours facile de parler, d’oser se confier, même quand la relation de confiance semble établie.

Parfois c’est un rouge à lèvres qui facilite la confidence, qui permet d’aborder une situation grave et de demander de l’aide.

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.

Depuis quelques années maintenant nous avons un partenariat avec ADN- l’agence du don en nature. Au départ nous avions en tête d’inscrire le Comede dans la lutte contre la précarité menstruelle et de pouvoir fournir au moins du savon et du shampooing pour les personnes que nous accompagnons.

Au fur et à mesure des commandes, de nos expériences « de terrain » nous commandons également des produits « qui font du bien », comme du rouge à lèvres. Pas du rouge à lèvres premier prix, cette fois c’est du Yves Saint Laurent, le rouge à lèvres des parfumeries, souvent hors de prix.

Ce n’est pas seulement du rouge à lèvres, c’est le petit élément qui a permis à cette maman exilée de dire en consultation « vous savez quand j’étais adolescente je voulais faire mannequin, j’adorais me mettre en mini-jupe, j’adorais poser et me maquiller mais mon frère n’a pas voulu, et j’ai été mariée très jeune ». Ensemble nous avons travaillé cette envie encore présente. Elle a participé à un beau projet collectif de mise en lumière des personnes trop souvent invisibles en posant pour un photographe professionnel. Aujourd’hui elle montre très fièrement ses portraits, certes un peu plus ridés qu’à 15 ans, mais avec une détermination incroyable dans le regard. Elle a enfin pu réaliser son rêve d’adolescente et rencontrer des nouvelles personnes.

Ce n’est pas seulement du rouge à lèvres, c’est le petit élément qui a permis à cette femme que nous connaissons bien de se sentir belle.

« Enfin vous avez du rouge à lèvres rouge ! C’est celui que j’aime, je me sens belle avec du rouge. Le rose c’est bien, mais moi vraiment celui qui me va le mieux c’est le rouge ». Du temps, du travail pluridisciplinaire, de la confiance, un hébergement stable, et du rouge à lèvres. Aujourd’hui elle se sent belle !

Ce n’est pas seulement du rouge à lèvres c’est le petit élément qui a permis à cette maman de « dire ».

Je ne l’avais pas vue depuis plusieurs mois, mais elle continuait à consulter les médecins. C’est la rentrée, nous refaisons le point :sa situation administrative a un peu changé, elle va enfin pouvoir faire une demande d’asile en France. Je sais qu’elle est « hébergée chez un tiers », c’est une information qui nous met en alerte, ces solutions sont rarement gratuites. A la fin de l’entretien je lui demande si elle a besoin de savon, de shampooing, de serviettes hygiéniques et je lui propose du rouge à lèvres. J’en profite pour lui demander s’il y a une femme dans l’hébergement et si elle veut lui offrir un rouge à lèvres.

« Non il n’y a pas de femme le soir, elle travaille. Le monsieur veut avoir des rapports sexuels, je ne veux pas. Il boit, il est violent quand il boit. Une fois il m’a réveillée en pleine nuit, je lui ai dit non, il a réveillé mon fils et nous a dit de partir de suite. Je n’avais nulle part où aller je ne voulais pas que mon fils n’aille plus à l’école, j’ai cédé. ». Ça y est c’était déposé, nous allions pouvoir en parler.

Elle veut sortir de là, mais elle a tellement peur de la rue, de l’hébergement 115 juste pour une nuit qu’elle n’y arrive pas. Elle sait que si elle part de cet hébergement elle ne pourra pas y retourner. Elle est d’accord pour que j’en parle à son médecin, à celle de son fils, à la psychologue. Elle ne veut pas que l’école soit au courant. Nous avançons en équipe, ensemble. Elle répond très vite aux demandes de l’administration pour que son dossier bloqué dans un Ofii éloigné arrive en Ile de France et qu’elle puisse enfin déposer sa demande d’asile. Elle est prête à aller n’importe où tant que c’est un hébergement pérenne, mais elle tient encore, elle a trop peur de la rue.

D’un rendez-vous à l’autre elle réalise, nous tendons chacune nos oreilles professionnelles et en douceur nous lui faisons comprendre que cette situation ne peut pas durer. Il faut qu’elle s’en protège et qu’elle protège son fils. Aujourd’hui elle est décidée et elle accepte la proposition du Comede. Nous lui réservons trois nuits dans un hôtel proche de l’école, elle appellera le 115 tous les jours, elle sait qu’elle va passer par une période d’instabilité, mais elle sait aussi que nous sommes là. Elle repart en disant « je ne savais pas comment sortir de là, mais maintenant, il va payer ».

Le rouge à lèvres n’est pas une solution, mais parfois c’est un « bâton de parole ».